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Uncreative Writing de Kenneth Goldsmith, traduit ici par Igor Myrtille sous le nom de L'écriture non-créative

« Le monde est plein d'objet plus ou moins intéressants ; je n'ai pas envie d'en ajouter d'avantage » [Douglas Huebler]

J’ai fini par adopter l’idée d’Huebler, mais je propose de la remanier : « Le monde est plein de textes plus ou moins intéressants ; je n’ai pas envie d’en ajouter davantage. » Voilà qui semble répondre avec pertinence à un des problèmes posés à l’écriture contemporaine : face à la quantité inédite de textes disponibles, le problème n’est pas de savoir si l’on doit encore écrire ; nous devons plutôt apprendre comment négocier la masse existante. La façon dont je traverse cette jungle d’informations, la façon dont je la manie, l’analyse, l’organise et la distribue, c’est ce qui distingue mon écriture de la vôtre.

La critique littéraire Marjorie Perloff a récemment introduit le terme de génie du non original pour décrire cette tendance littéraire émergente. Son idée, c’est que du fait des changements induits par la technologie et Internet, notre conception du génie comme figure isolée et romantique est obsolète. Pour actualiser cette notion, nous devrions nous recentrer sur la maîtrise et la dissémination de l’information. Perloff a inventé l’expression information mouvante, qui signifie à la fois l’acte de bousculer le langage et le fait d’être ému par ce procédé. Elle postule que l’écrivain ressemble plus aujourd’hui à un programmeur qu’à un génie torturé : un brillant concepteur, fabricant et exécuteur entretenant une machine d’écriture.

[p. 15]

L’écrivain est désormais producteur, éditeur et distributeur. Des paragraphes sont déchirés, brûlés, copiés, imprimés, reliés, éliminés et diffusés simultanément. La tanière ancestrale de l’écrivain solitaire est transformée en un laboratoire d’alchimie établi en réseau social, dédié à la réalité physique et brutale du transfert textuel. La sensualité de copier des gigabits d’un lecteur à un autre : le vrombissement du lecteur, le bouillonnement de la matière intellectuelle qui se manifeste par le son. L’excitation charnelle de la chaleur des superordinateurs générée au service de la littérature. Le grincement du scanner quand il ôte le langage de la page, quand il le décongèle, le libère. Le langage en jeu. Le langage hors-jeu. Le langage gelé. Le langage fondu.
Sculpter le texte.
Explorer les données.
Sucer les mots.
Notre tâche est simple : s’occuper des machines.
La globalisation et la numérisation transforment tout langage en langage provisoire. L’ubiquité de l’Anglais : maintenant qu’on le parle tous, personne ne se souvient de son usage. La bâtardisation collective de l’Anglais est notre plus impressionnante prouesse ; nous l’avons assommé d’ignorance, d’accent, d’argot, de jargon, de tourisme et de multitâche. On peut lui faire dire tout ce qu’on veut, comme un pantin.

[p. 239]